mardi 10 juin 2014

#challenge AZ - I comme Ingolstadt


Pourquoi Ingolstadt ?

        Notre grand-père lorrain (de Lorraine annexée) était né par hasard en Belgique, ce qui ce révéla d'abord une aubaine puisqu'il ne fit la guerre en 1914 ni dans l'armée française ni dans l'armée allemande, mais qui lui coûta tout de même quelques vilains mois de forteresse en Bavière. Parenthèse : âgé de 40 ans en août 14, il n'aurait de toute façon été mobilisé qu'à l'arrière je pense. Comparé au sort des poilus de toutes les nations en guerre, le sien fut évidemment moins pénible. Pourtant cette histoire peu banale mérite qu'on s'y intéresse un peu.


          Ce belge de parents français habitait et travaillait dans l'Empire allemand puisqu'il était employé au Bureau des Forges de Wendel à Hayange, et donc après la déclaration de guerre et l'invasion de la Belgique par l'armée allemande, susceptible "d'intelligence avec une puissance ennemie", il fut envoyé dans un camp de prisonniers civils belges à Ingolstadt.


          Fut-il arrêté par les Allemands chez lui, ou sommé de se rendre au commissariat, je ne sais, mais il partit donc le 30 août 1914 vers la Bavière avec un certain nombre d'autres belges d'Hayange. Comme son épouse avait commencé une collection de cartes postales, celles que le couple échangea durant ces quelques mois furent soigneusement consignées dans un album, ainsi que plusieurs lettres. C'est ainsi que j'ai appris le lieu exact de son internement : chambre 37 au Fort von der Tann, à Ingolstadt. 




 Une place forte de première importance sur le Danube        
          
A part les quelques cartes en couleur qu'il envoya ou rapporta j'ignorais tout de cette ville de garnison bavaroise située entre Nuremberg et Munich. Quelques clics sur des sites en allemand, un peu difficiles à comprendre malgré mes sept ans d'allemand au lycée…et voilà ce que j'ai appris :

Première enceinte de la ville début XIXe (Wikipédia)



          Déjà fortifiée au Moyen-Age Ingolstadt fut dotée d'un impressionnant système défensif moderne au cours du XIXe siècle. Commencé au temps du royaume de Bavière, par crainte d'une guerre avec la Prusse, le dispositif était composé d'une première enceinte circulaire percée de trois portes, protégée par des glacis et ouvrages avancés. Une deuxième ceinture de forts fut construite à quelques kilomètres, puis après la proclamation de l'Empire allemand, une troisième ligne de défense "à la prussienne" composée d'une dizaine de forts et de plus petits ouvrages intermédiaires termina l'ensemble. Ces forts portaient les noms de militaires, comme Ludwig "von der Tann", Prinz Karl, Hartmann etc.


Fort III von der Tann à Gaimersheim


  Le Fort III von der Tann se trouve non pas à Ingolstadt même mais à Gaimersheim, petite  localité de banlieue au Nord-ouest de la ville.  




Système défensif autour d'Ingolstadt à la fin du XIXe, et emplacements des forts III et VI (site satgeo.zum.de)



          Tous ces forts ont été bombardés et détruits durant la seconde guerre mondiale, à l'exception du Fort VI Prinz Karl. On voit encore très distinctement sur Google earth l'emplacement de ce dispositif militaire qui pouvait accueillir 40 000 soldats... et combien de prisonniers ?
 Comme tous les forts ont été construits à la même date, il est vraisemblable que le Fort III ressemblait au Fort VI. En voici quelques aspects : 


L'entrée du Fort Prinz Karl (googlemap)
A quoi pouvaient ressembles les chambres des prisonniers ?
 Les prisonniers



   Comme ses compagnons de détention, il dut beaucoup s'ennuyer dans cette prison. Le contenu des cartes et lettres échangées avec sa famille mentionne beaucoup de retards dans l'envoi du courrier et des colis. Il recevait des vêtements et de la nourriture.






       

  

 Un gâteau de sa femme fut le bienvenu, mais les parts furent petites vu qu'ils étaient 22 dans la chambrée ! Dans ses lettres il dit avoir souffert beaucoup du froid, et réclamait des chaussettes de laine et même des aiguilles et du fil pour pouvoir les repriser.

Il avait conservé quelques pages de carnet sur lesquelles il avait copié la liste des détenus belges travaillant auparavant aux Forges d'Hayange et des environs. 





           La direction des usines de Wendel appuya sa demande de libération, il put donc quitter Ingolstadt en avril 1915 après 8 mois de détention. A défaut de faire du tourisme il eut la possibilité de se procurer des cartes postales d'Ingolstadt pour la collection de sa femme, et de se faire photographier afin d'obtenir un passeport. 

Charles à Ingolstadt, à sa libération

          Une dernière carte provient de Traunstein, petite localité du sud de la Bavière, où il dut séjourner quelque temps dans un camp de transit en attendant les résultats de la visite médicale qu'il avait subie. Enfin il obtint le droit de rentrer à Hayange, muni d'un passeport espagnol...? ? J'ai lu quelque part que l'Espagne, pays neutre, s'était proposée pour inspecter les lieux de détention en Allemagne. Ceci a-t-il rapport ? Je ne sais.


          Ce qui est certain c'est qu'il a eu la chance de partir assez tôt, avant que les Allemands n'obligent les prisonniers à travailler, avant que les conditions de détention ne deviennent trop pénibles. Certes, l'alimentation des prisonniers était essentiellement composée de choux sous toutes les déclinaisons possibles, mais sa famille pouvait lui faire passer des colis qui malgré les délais amélioraient pas mal l'ordinaire.

          Beaucoup de célébrités sont passées par Ingolstadt pendant la guerre de 14, et parmi elles Charles de Gaulle, Roland Garros, le futur général Catroux, Mikhaïl Toukhatchevski et Rémi Roure. Mais la ville comptait dix forts de prisonniers, et il y a peu de chances que les officiers qui avaient plusieurs fois tenté de s'évader aient côtoyé les civils belges venant de Lorraine.

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