mercredi 18 juin 2014

#challenge AZ - P comme Photos de 14

Un soldat Meyniel photographié en 14

Sag mir wo die Blumen sind, wo sind sie geblieben
Sag mir wo die Blumen sind, was ist gescheh'n
Sag mir wo die Blumen sind

Mädchen pflückten sie geschwind
Wann wird man je verstehn, 

Wann wird man je verstehn




On entend immédiatement la voix de Marlène Dietrich lorsqu'on lit le début de cette chanson en allemand. Mais il existe plusieurs versions de ce texte en français, dont celle-ci par Eva :




Qui peut dire où vont les fleurs du temps qui passe?
Qui peut dire où vont les fleurs du temps passé?
Quand va la saison jolie les jeunes filles les ont cueillies.
Qu'en saurons-nous un jour? Quand saurons-nous? Un jour...

Qui peut dire où vont les filles du temps qui passe?
Qui peut dire où sont les filles du temps passé?
Quand va le temps des chansons se sont données aux garçons
Qu'en saurons-nous un jour? Quand saurons-nous? Un jour...

Mais où vont tous les garçons du temps qui passe?
Mais où sont tous les garçons du temps passé?
Lorsque le tambour roula se sont faits petits soldats.
Qu'en saurons-nous un jour? Quand saurons-nous? Un jour...

Mais où vont tous les soldats du temps qui passe?
Mais où sont tous les soldats du temps passé?
Sont tombés dans les combats et couchés dessous leurs croix.
Qu'en saurons-nous un jour? Quand saurons-nous, un jour...

Il est fait de tant de croix, le temps qui passe.
Il est fait de tant de croix, le temps passé.
Pauvres tombes de l'oubli, les fleurs les ont envahies.
Qu'en saurons-nous un jour? Quand saurons-nous? Un jour...

Qui peut dire où vont les fleurs du temps qui passe?
Qui peut dire où sont les fleurs du temps passé?
Sur les tombes du mois de mai, les filles en font des bouquets.
Qu'en saurons-nous un jour? Quand saurons-nous? Jamais...

          Même si cette chanson a été composée plus tard, je trouve qu'elle illustre bien les sentiments que nous inspire la découverte de toutes ces photos de soldats collées dans des albums, amoncelées dans des boîtes à chaussures, ou encadrées au-dessus de la commode, avec ou sans nom au dos du carton... Dans les familles, les photos de soldats se ramassent à la pelle.  
Pourquoi  trouve-t-on autant de photos datant de 1914, ou, moins fréquentes, prises pendant la guerre  ? Parfois même la photo de soldat sera l'unique photo de toute une vie. 

Sem Piet
Eugène Simonneaux



















          On ne souriait guère sur les photos à cette époque, mais pour la circonstance encore moins qu'à l'ordinaire. A peine un petit frémissement du coin des lèvres, ou plutôt des moustaches.
          L'heure est grave. Les hommes partent faire la guerre. La guerre précédente, celle de 1870 a laissé des traces dans les mémoires des plus anciens. Même si on se dit en août 14 que la guerre ne sera  pas longue, et qu'au bout de quelques semaines les soldats reviendront auréolés de la victoire, on sait bien qu'il y aura des morts. 
           Regardez moi, mon père, ma mère, ma femme, mon enfant, je suis vivant. Mais pour combien de temps encore ? Si je ne reviens pas, au moins il vous restera cette photo. Celle d'un homme, un vrai, qui est parti faire son devoir, et qui fera la fierté des vivants.

François Jamais
Le zouave René Lheureux
Emile Gachet

Fierté d'arborer un bel uniforme, une épée, des galons et des médailles.
Fierté de partir ensemble, tous les garçons d'une fratrie.

Léon, Georges et Gabriel Rabier
Quatre fils Trumel et leur beau-frère Gabriel Rabier



















           La famille Trumel comptait cinq garçons, mais quatre sont partis à la guerre, y compris Georges le cadet qui souffrait d'une malformation des pieds. L'absent, Théodore, Frère des Ecoles chrétiennes, est parti en Amérique. Mobilisé lui aussi, mais refusant de revenir en France, il est considéré comme insoumis. Comme pour compenser cette absence, pour en effacer peut être une certaine honte, Jean, Pierre, Aristide et Georges Trumel ont posé avec leur beau-frère Gabriel Rabier.

Jean Trumel en haut à gauche avec des copains de sa section
ou photos du front prises pendant les journées de pause. 

          Dans la famille, ceux qui sont revenus de la guerre n'en ont jamais parlé ou alors pour raconter une petite anecdote plaisante, jamais pour dire les souffrances, la violence, les horreurs du combat et de la vie dans les tranchées.
Ma mère disait que lorsqu'elle était jeune, ça ne se faisait pas de poser des questions, et quand les derniers grands oncles ont disparu, je n'avais pas encore l'âge de m'intéresser à cette époque.

          Je me souviens de l'oncle Gabriel qui nous faisait sauter sur ses genoux ma soeur et moi, en faisant la cavalerie au galop. 
Un jour aussi, alors que j'étais un peu plus âgée, j'ai été très impressionnée par le regard triste de l'oncle Aristide qui, au fond de son jardin murmura, découvrant je ne sais quelle charogne  "ça sent le cadavre ici". Il est resté quelques instants immobile, perdu dans des souvenirs qu'avait fait émerger cette odeur pestilentielle. Mais il n'a rien dit. 

          Pour terminer je vous propose de lire un texte que j'ai découvert dans un manuel d'histoire classe de première : Un instituteur, Monsieur Brana, ancien combattant de la Grande Guerre prononce un discours devant ses élèves au moment où on lui remet la Légion d'honneur, en 1936: 



          "Ne regardez jamais la guerre à travers cette atmosphère légendaire et romanesque tissée de galons et de décorations. Considérez-la avec vos yeux les plus réalistes, et vous ne verrez que ventres ouverts, figures en bouillie, membres déchiquetés, vos mamans qui pleurent, vos fiancées qui pleurent, des orphelins qui réclament leurs pères.
           J’aurais pu ajouter autre chose et ceci m’amène à vous faire un aveu, un aveu qui m’en coûte et que peu de combattants, faute sans doute de savoir lire en eux-mêmes, se hasardent à articuler. La guerre a fait de nous, non seulement des cadavres, des impotents, des aveugles. Elle a aussi, au milieu de belles actions, de sacrifice et d’abnégation, réveillé en nous, et parfois porté au paroxysme, d’antiques instincts de cruauté et de barbarie. Il m’est arrivé —et c’est ici que se place mon aveu — à moi qui n’ai jamais appliqué un coup de poing à quiconque, à moi qui ai horreur du désordre et de la brutalité, de prendre plaisir à tuer. Lorsque, au cours d’un coup de main, nous rampions vers l’ennemi, la grenade au poing, le couteau entre les dents comme des escarpes [bandits, assassins], la peur nous tenait aux entrailles, et cependant une force inéluctable nous poussait en avant. Surprendre l’ennemi dans sa tranchée, sauter sur lui, jouir de l’effarement de l’homme qui ne croit pas au diable et qui pourtant le voit tout à coup tomber sur ses épaules ! Cette minute barbare, cette minute atroce avait pour nous une saveur unique, un attrait morbide.

          A l’issue de la guerre, de retour dans mon village, dans mon joli village basque – et ici je rougis à l’idée de vous avouer cette abominable déformation intellectuelle, mais je veux être sincère jusqu’au bout – c’est avec des yeux de guerrier que je voyais nos ravissants paysages couverts de fleur et de verdure. Ici, sur cette crête, un magnifique emplacement pour un groupe de combat; là, un cheminement admirable pour surprendre l’ennemi; plus loin, dans cet éperon, une position idéale pour une mitrailleuse. Ah, les belles vagues de tirailleurs ennemis qu’elle coucherait !

          Partout, dans les cadres les plus poétiques, les plus reposants, l’obsession du combat, l’obsession du meurtre, l’obsession de la mort... Et c’est cette défloraison de l’âme que j’ai pardonné le moins facilement à la guerre.
Cahiers de l'Union féférale, 15/08/1936, cité par Antoine Prost en 1973

Dans la famille Trumel, cinq garçons et une fille, mais ma mère est la seule descendante. Aucun de mes grands oncles n'a souhaité avoir d'enfant. Pour en faire de la chair à canon ?

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