lundi 16 juin 2014

#challenge AZ - N comme Nom propre



- "Comment vous appelez-vous ?

- Moi, je ne m'appelle jamais, je suis toujours là, je n'ai pas besoin de m'appeler. Mais les autres m'appellent Garance, disait Arletty dans les Enfants du paradis ".

      On ne choisit pas son nom, on fait avec. Comme la date de naissance, le nom propre des individus constitue une partie essentielle de leur personnalité. S'appeler Kévin ou Louis, Loana ou Jeanne ne vous positionne pas de la même manière dans la société. S'appeler Rongemaille ou Richomme peut prêter à sourire, mais s'appeler Nabot, Batard ou Pinard peut rendre la vie impossible au point d'obtenir un changement de patronyme.

Aurais-je eu la même vie si au lieu de Anne-Marie Schiltz, je m'étais appelée Paola Gersi ou Arlette Tigoulet comme d'autres filles de ma classe ? Des noms qui singularisaient l'individu, qui faisaient que les profs retenaient tout de suite leur nom. 



       *   Un nom de baptême

-  "Je lui cause pus à la Machin, elle fait sa commandante…

-  La Machin, elle a été baptisée, j'te f'rai dire !"

Ça ne se faisait pas d'appeler les copines par leur nom de famille dans la cour de récré. Sinon l'intéressée vous rappelait vertement à l'ordre.

          Des filles qui s'appelaient Anne-Marie, il y en avait au moins deux dans chaque classe, comme les Martine et les Marie-Françoise, mais cela ne m'a jamais chagrinée, car l'originalité des prénoms n'était pas encore une priorité dans les années cinquante. Ma grand-mère elle aussi baptisée Anne-Marie, m'a fait aimer ce prénom qui lui rappelait sa Bretagne natale, et sa Sainte Anne d'Auray. On est les deux Anne-Marie disait-elle avec fierté.



       *  Quant à notre nom de famille Schiltz, une voyelle pour six consonnes…, il fallait toujours l'épeler, pas comme Martin ou Dubois, ou entendre les prononciations les plus fantaisistes du style Schlitz, Schmitz, Schist, Schilitz, Schild, ou même Schips. On a échappé à Schmilblick tout de même. Encore aujourd'hui, habitant Bordeaux, à chaque élection je plains d'avance l'assesseur du bureau de vote qui devra prononcer mon nom à haute voix !


           Olivier mon frère avait trouvé dans un dictionnaire des patronymes germaniques, que Schiltz avait pour origine le prénom français Gilles. Les Allemands n'ont pas de son Ge, donc Gi devient Schi, et prononcent toutes les lettres, donc le S final devenu tz se prononce effectivement S. C'est un nom assez courant en Moselle et au Luxembourg, dans des régions où la limite entre langues romanes et germaniques est proche.

Dans les délibérations du conseil municipal du village de Trieux pendant la Révolution, Jacques Schiltz a essayé de franciser son patronyme en signant Jacques Chils. Mais les actes officiels reprenaient la forme ancienne. On devait se souvenir dans le village que son père Jean était venu de Kehlen au Luxembourg. 

     *   Homonymie
          Un jour par hasard en visitant dans le Midi une exposition de peintres locaux j'ai sursauté devant une signature : Anne-Marie Schiltz. Quelle impression étrange. Allons bon, voilà qu'il existait une personne du même nom que moi. Mon nom propre ne m'était plus propre en somme. 
          Un prénom courant, un patronyme figurant parmi les 6000 noms les plus portés en France (d'après le site Genealogie.com), il eut été bien surprenant de ne pas rencontrer un jour un homonyme, d'autant que j'en avais trouvé dans ma généalogie. Pourquoi serais-je la propriétaire unique de ce nom ? Bien des Philippe Martin ou des Monique Bernard ont l'habitude des homonymes.  Mais sur le coup ça m'avait semblé comme une intrusion dans mon  univers familier.  Le fait d'avoir le même nom générerait-il d'office des points communs ? des expériences semblables ?
L'aventure est arrivée aussi à ma soeur qui reçu un courrier destiné à une autre Véronique Schiltz, orientaliste et historienne de l'art de réputation internationale.



      *   Je suis devenue Jamais par mon mariage, un nom plus simple à écrire et qui se prête à quelques jeux de mots faciles. En réalité depuis nos recherches en Seine-et-Marne, nous avons appris que jusqu'à la révolution de 1789, le patronyme était Jamet, puis d'acte en acte, tantôt Jamais tantôt Jamet, le nom s'est officialisé avec sa nouvelle orthographe. Mon mari disait qu'il avait vu une note du curé disant qu'il optait pour la forme Jamais car il y avait plusieurs familles Jamet, ce qui prêtait à confusion. Malheureusement quand il a trouvé cela, il n'a pas pris soin de le recopier. Pour l'instant, les registres de Boissy-le-Châtel en Seine-et-Marne ne sont en ligne qu'à partir de 1760, et je n'ai pas pu vérifier.  

Signatures au bas de l'acte de mariage de Denis Jamais en 1788

Nous distinguons ici les signatures du frère Pierre Jamet en haut à droite, et du père Claude Jamet en bas, alors que le marié signe Denis Jamais.


            *  Comme tout généalogiste, j'ai plusieurs fois consulté les statistiques des prénoms de notre arbre lorsque l'un de mes enfants ou neveux se demandaient comment nommer leur enfant à venir.

-    Jusqu'à la révolution de 1789, le choix des prénoms tourne autour de la quinzaine tant du côté hommes que du côté femmes : Jean, Marie, Jeanne, Jacques, avec davantage de Nicolas en Lorraine et de Perrine en Bretagne. Quelques enfants curieusement étaient affublés de prénoms moins usuels comme Mamet, Légère, Briande, Athanase, Innocente, Corneille, Radégonde, Colasse ou Gœuriette. Parfois des familles se transmettaient des prénoms rares sur plusieurs générations : Edme, Roch, Philogène.


 -    Les changements vinrent de la noblesse qui répandit l'usage de prénoms multiples à partir des XVII-XVIIIe siècles. Henri Charles Adrien de Beaurepaire par exemple. L'intéressé ou la famille choisissait l'un d'entre eux comme nom d'usage. Madeleine Marguerite Clémentine Marie Thérèse de Montfort se faisait appeler par son dernier prénom et non le premier qu'elle détestait.
Les villes et les campagnes copièrent ce modèle avec un certain décalage dans le temps.

-     Le nombre des prénoms disponibles s'élargit considérablement durant le XIXe siècle. En plus du prénom du parrain ou de la marraine les parents choisissaient un prénom qu'ils affectionnaient. On vit désormais bien des Joséphine, Rosine, et Adèle, des Jules, Henri et Léonard. Mais le pompon de l'originalité revient sans conteste au Poitou :
Almanaïde, Adalbert, Moïsette, Clorinthe, Cléophase, Eléontine, Monadelphe,  Obterre, Miltiade, Sem, Stylite, Thècle, Théodolinde et même Chéri, la liste paraît sans fin. Quelle imagination ! 

Je ne ferai pas un tableau des prénoms les plus en vogue depuis un siècle, bien des ouvrages et des sites Internet s'en chargent largement. 

3 commentaires:

  1. Bravo pour ce bel article qui, de surcroît, nous fait découvrir des prénoms insolites. J'ai également découvert un jour sur internet une homonyme, spécialiste de littérature antillaise, mais je n'ai pas encore osé me manifester auprès d'elle. Il va falloir que je me jette à l'eau !

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  2. Si tu cherche à approfondir tes recherches sur les Jamais, je te conseille de rester l'esprit très, très, ouvert : mon ancêtre Marguerite Jamais de Seine et Marne (La Chapelle sur Crécy) voit l'orthographe de son nom très souvent bousculé : selon les actes, son nom est Germain, Jamié, Gamaist, Jamaist, Jamais, Jamain !

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  3. Quel excellent article. Je porte pourtant un patronyme courant : Lefevre, mais toute mon enfance on m'a demandé "avec ou sans B". Comme c'est pénible de devoir dire, redire et reredire toujours la même chose.

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